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Hôpital psychiatrique à Évreux : quand la scientologie s'invite dans le débat

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La CCDH appelle régulièrement à des manifestations partout en France, pour "dénoncer les abus de la psychiatrie".

La CCDH appelle régulièrement à des manifestations partout en France, pour « dénoncer les abus de la psychiatrie ». (©CH / La Dépêche Eure Infos)

Ils appelaient à manifester devant le Nouvel Hôpital de Navarre pour dénoncer les « abus psychiatriques ».

Dans leur communiqué, la Commission citoyenne pour les droits de l’homme (CCDH) reprenait des extraits de témoignage d’une ancienne patiente, Elisa*, qui dénonçait dans nos colonnes ses conditions d’hospitalisation à Navarre après un séjour volontaire de seize jours. Patients livrés à eux-mêmes, privations de libertés injustifiées, temps de parole inexistant avec les soignants… le portrait était peu flatteur.

LIRE AUSSI : Psychiatrie à Évreux : à Navarre, « dès le premier jour, j’ai été dépouillée de mon identité »

Pourtant, pour Elisa, pas question de s’associer à la CCDH : « Ils ne m’ont pas prévenue, alors que toute leur action repose sur mon écrit. Je ne suis pas solidaire de cette manifestation. Ces gens-là, c’est une secte. »

Une confusion entretenue

Le mot est lâché. Il faut dire que la CCDH est une association créée en 1969 aux États-Unis (et en 1974 en France) par l’Église de scientologie, ouvertement hostile à la psychiatrie et à ses méthodes considérées comme abusives.

La Miviludes, organe ministériel de lutte contre les dérives sectaires, appelle à son sujet à la vigilance :

Cette association est communément désignée par son acronyme CCDH, ce qui lui permet d’introduire une confusion auprès de certains de ses interlocuteurs qui peuvent la confondre avec des organismes comme la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), ou la Ligue des Droits de l’Homme (LDDH), avec lesquels elle n’a bien entendu aucun lien.

Coralie Gamet, la porte-parole de la CCDH, affirme que l’association compte environ un millier de membres en France. « On reçoit une dizaine de témoignages par semaine », précise-t-elle. Basés à Paris, les plus motivés des adhérents de la CCDH « se déplace[nt] environ deux fois par mois », indique Gwenaëlle, une des quatre militants qui se sont rendus en voiture ce samedi matin à Évreux, depuis la capitale, pour 45 minutes de manifestation et de tractage devant le centre hospitalier. 

Questionnée quant à la qualification de « secte », Coralie Gamet botte en touche : « Nous sommes une association créée par l’Église de scientologie et un psychiatre. Notre but est de contrôler les conditions d’internement et d’alerter les autorités en cas d’abus. »

Le Nouvel Hôpital de Navarre a fait l'acualité a de nombreuses reprises ces derniers temps.

Le Nouvel Hôpital de Navarre a fait l’acualité a de nombreuses reprises ces derniers temps. (©Eure infos/La Dépêche)

Toujours en attente de certification

Cette manifestation, la CCDH la justifie aussi par des chiffres alarmants sur les hospitalisations sous contrainte : « Plus de 89 % des procédures d’internement décidées par le directeur du CH de Navarre sont des mesures d’urgence ou de péril imminent. […] L’exception est ainsi devenue la règle à Navarre. »

Des chiffres plus qu’approximatifs, selon la direction du Nouvel Hôpital : « 95,3 % des hospitalisations psychiatriques sont des hospitalisations en soins libres ; seulement 4,7 % des hospitalisations sont des hospitalisations psychiatriques en soins sans consentement ; c’est une procédure réglementée. Sur ces 4,7 % d’hospitalisation, 81,5 % étaient des hospitalisations en péril imminent ou sur demande de tiers en urgence. »

L’hôpital de Navarre a été plusieurs fois sous le feu des critiques au cours de ces deux dernières années (voir encadré). L’établissement, qui doit tous les quatre ans recevoir une certification attestant de la qualité de ses soins, est d’ailleurs toujours en attente de son label 2018 : le rapport de la Haute Autorité de Santé publié en février 2018 a sursis à statuer, « en raison de réserve(s) devenue(s) obligation(s) d’amélioration ». Au NHN, on affirme que la procédure est « en cours » suite à des mesures prises pour améliorer ces résultats.

Ces deux dernières années, le centre hospitalier spécialisé montre des signes de tension. En mai 2017, l’hôpital se sépare avec stupeur d’un faux médecin, ayant exercé pendant un an en qualité de psychiatre avec de faux diplômes. L’établissement porte plainte ; l’homme a déjà été condamné par le passé pour faux et usage de faux. En août 2017, c’est une famille qui porte plainte suite au suicide d’une patiente par défenestration. En avril 2018, une autre patiente met fin à ses jours dans l’enceinte de l’hôpital, trois jours seulement après son arrivée. Son mari porte plainte contre l’établissement pour négligence et mise en danger de la vie d’autrui. L’enquête est encore en cours.

Un contexte interne délicat

En moins de deux ans, l’hôpital a vu trois directeurs se succéder à sa tête. Patrick Waterlot, qui dirige actuellement le NHN, doit mettre en place le projet d’établissement pour les années à venir, dans un contexte de fronde sociale : à plusieurs reprises depuis 2017, le personnel s’est mis en grève pour dénoncer le manque de moyens et les mauvaises conditions de travail. « Ça ne s’améliore pas, déplore Éric Marre, infirmier et syndicaliste CGT. Beaucoup de personnels se sentent frustrés de ne pas pouvoir bien faire leur travail. »

Nous sommes juste assez nombreux pour assurer les soins de base. Pas pour avoir des patients occupés, valorisés en organisant des activités par exemple.

Le délégué syndical regrette la récupération opérée par la CCDH d’une problématique pourtant centrale : « Nous, on aime notre métier et notre hôpital. On est capables d’avoir un regard critique, mais la différence avec eux, c’est qu’on va se battre pour améliorer la situation. »

Dérives thérapeutiques

Pourquoi un tel intérêt de ce type d’organisation pour les établissements spécialisés en santé mentale ? Là encore, la Miviludes a des pistes de réponse, à savoir les alternatives proposées par des mouvements anti-psychiatrie :

La dérive thérapeutique devient sectaire lorsqu’elle essaie de faire adhérer le patient à une croyance, à un nouveau mode de pensée. Prétextant l’inutilité des traitements conventionnels, le pseudo-praticien demande au patient d’avoir toute confiance en lui, car lui seul détient la méthode « miracle » seule apte à le guérir.

Avec à la clé, « l’achat d’ouvrages, la participation à des stages ou des séminaires payants ou à des retraites coûteuses ». Et l’organisme d’enfoncer le clou : 

Pour mémoire, il convient de rappeler la condamnation : en 1999 à Marseille, de cinq scientologues pour escroquerie ; en 2003, de l’« Église de Scientologie Île-de-France » pour le fichage illicite d’anciens membres ; en octobre 2009, par le tribunal correctionnel de Paris, de deux des principales structures françaises de la Scientologie (l’« Association spirituelle Église de Scientologie- Celebrity Center » et sa librairie SEL), pour escroquerie en bande organisée, à des amendes d’un montant cumulé de 600000 euros, de quatre de ses dirigeants à des peines de prison avec sursis et des amendes pour les mêmes faits, et enfin deux autres responsables à des peines d’amendes pour exercice illégal de la pharmacie.

Que faire en cas de réclamation ?
Au NHN, on rappelle que des procédures de réclamation et de conciliation sont mises en place au sein de l’établissement : l’équipe soignante et le directeur peuvent recevoir les familles et les usagers en entretien. « Des associations d’usagers existent qui sont reconnues, comme l’Unafam. La CCDH n’en fait pas partie, elle n’agit que comme porte-voix de la scientologie. »
Par ailleurs, Corinne Vaillant, avocate et membre de l’association Avocats, Droits, Psychiatrie à Paris, rappelle que de nombreuses instances existent pour trouver de l’aide : « S’il s’agit de dénoncer des conditions d’hospitalisation sous contrainte, les usagers peuvent donner leur signalement au CRPA (Centre de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie, ndlr) qui est une association laïque et républicaine. Ils peuvent également contacter un avocat, le contrôleur général des lieux de privation de libertés, ou le défenseur des droits. »
L’avocate conseille également de « garder toutes les preuves matérielles » possibles, notamment les décisions de l’hôpital qui doivent être remises aux usagers.

*Le prénom a été modifié. 


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