
Pierre Billaux, ancien résistant et déporté, de Chambois, est décédé vendredi 28 décembre. (©Le Journal de l’Orne)
Pierre Billaux, 93 ans, de Chambois (Orne) est décédé le vendredi 28 décembre 2018.
Refusant l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre Mondiale, il était entré à 19 ans dans la résistance.
Arrêté sur dénonciation le 3 mai 1944, il sera déporté dans l’enfer de Neuengamme.
L’ancien coiffeur de Chambois éprouvera le besoin de témoigner, notamment au journaliste Frédéric Leterreux dans Le Journal de l’Orne du 23 janvier 2014 et 70 voix de la Liberté.
Un récit à retrouver ci dessous.
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Connu des familles de vétérans, des collégiens…

En janvier 2015, Pierre Billaux recevait la Croix de la Légion d’Honneur. Il est entouré ici, de gauche à droite, de Ginette, sa sœur, Paulette, son épouse, Françoise Comte, Commandeur de la Légion d’Honneur, présidente départementale des Combattants volontaires et Résistants, et Nady, sa fille. (©Le Journal de l’Orne)
L’homme était connu des vétérans (et familles) de la Poche de Falaise-Chambois, rencontrés à Chambois ou à Montormel-Coudehard, lieu des dernières heures de la Bataille de Normandie.
Des collégiens et lycéens aussi puisqu’il interviendra dans des établissements scolaires dans le cadre du concours de la Résistance et de la Déportation.
Il avait aussi tenu longtemps le groupe d’Amnesty international d’Argentan.
Il avait reçu la Croix de La Légion d’Honneur en janvier 2015, lors d’une cérémonie à Chambois.
Ce jour-là, Nady, sa fille, confiait :
Je t’ai rarement entendu en parler, il y avait chez toi beaucoup de pudeur pour ne pas aborder ce qui aurait sans doute assombri ma vie protégée de petite fille ».
C’était peu après les attentats de Paris.
Le regard qu’il portait alors sur cette société :
C’est bien loin de l’idéal dont j’ai rêvé après la fin de la guerre ».
Connu au Québec des descendants d’un habitant de Chambois parti en 1645
Le nom de Pierre Billaux et de Paulette, son épouse, est également célèbre au Québec, auprès des descendants d’Étienne de Lessart, né à Chambois en 1623.
À 22 ans, Etienne part pour la Nouvelle France, s’installe à Sainte-Anne du Petit Cap, aujourd’hui Sainte-Anne de Beaupré, et fonde une famille (il aura onze enfants).
Il donne un terrain afin d’y construire une chapelle dédiée à Sainte-Anne.
Aujourd’hui, la basilique Sainte-Anne de Beaupré est l’un des plus importants lieux de pèlerinage du continent Nord américain et attire environ un million de pèlerins par an.
Un des vitraux rappelle que c’est Etienne de Lessard qui a donné le terrain. Etienne de Lessart a eu une nombreuse descendance et environ 20 000 Lessard portent ce nom au Québec, le T ayant été remplacé par un D », relevait le maire de Chambois, Véronique Chabrol, lors de l’inauguration, à Chambois, de la place Etienne-de-Lessart, en septembre 2016.
Une dénomination souhaitée par Pierre Billaux.
De nombreux Lessard viennent chaque année à Chambois sur les traces de leur ancêtre. Ils ont toujours trouvé un accueil chaleureux auprès de Paulette et Pierre Billaux, au point que ces derniers ont agrandi leur maison pour leur offrir un hébergement.
Maryline TROQUET
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Le témoignage de Pierre Billaux en 2014
Pierre Billaux, 19 ans en 1944 : « J’ai ressenti un choc terrible »

Pierre Billaux, de Chambois, est rentré à 19 ans dans la résistance. (©Collection Pierre Billaux)
L’ancien coiffeur de Chambois a connu l’enfer de la déportation dans le camp de Neuengamme, dans le nord de l’Allemagne. Il se livrait dans Le Journal de l’Orne du 23 janvier 2014 et 70 voix de la Liberté.
Pierre Billaux n’accepte pas la défaite de la France en 1940.
Quand ils nous ont envahis, cela a été un choc pour tout le monde. En mai 40, quand ils ont lancé leur offensive, ils sont entrés chez nous comme ils ont voulu ».
À Chambois, très vite, les contraintes de l’occupation, le couvre-feu difficile à supporter pour un jeune, les restrictions et l’écoute assidue de Radio-Londres vont développer un sentiment patriotique chez Pierre Billaux. Il se range tout de suite dans le camp du refus.
En 1943, il intègre un réseau appelé Vengeance qui a, à sa tête, un électricien de Trun.
L’objectif du réseau est de former un groupe de combat destiné à être opérationnel le Jour J.
Fausses cartes d’identité, maniement des armes… Peu à peu l’ancien coiffeur de Chambois découvre les rudiments de la lutte clandestine.
Quatre-vingt par wagon
Une activité à haut risque. Le 3 mai 1944, Pierre Billaux est arrêté sur dénonciation.
J’ai entendu qu’ils défonçaient la porte. Un Allemand a déboulé dans ma chambre avec un revolver au poing. Je commençais à m’habiller, j’ai à peine eu le temps de prendre une veste. D’abord emmené dans les caves du château, on m’a ensuite fait monter dans le salon où j’ai été tabassé à coups de nerf de bœuf sous le regard d’un collabo, un type que je connaissais ».
Emprisonné à Alençon, le jeune résistant est conduit dans un camp de transit, à Compiègne.
C’était la récréation par rapport à ce qui m’attendait ».
Le voyage jusqu’à Neuengamme, l’enfer pourrait-on dire, a duré trois jours et demi.
Nous étions 80 par wagons. C’était l’été, nous ne pouvions pas nous coucher.
Nous avons été trois jours et demi sans boire ni manger.
J’ai ressenti un choc terrible en arrivant dans ce camp situé dans le nord de l’Allemagne. Nous ne savions pas encore où nous étions. Quand ils ont ouvert les portes des wagons, ils nous ont fait descendre à coups de matraque. Moi, ça allait, à 18 ans j’étais souple, contrairement aux personnes d’un certain âge qui tombaient.
Le comité d’accueil était constitué de SS qui avaient les deux mains prises, le nerf de bœuf dans une main, la laisse du chien dans l’autre ».
« Une extrême misère »
Les conditions de travail étaient inhumaines. Pierre Billaux était affecté dans les glaisières « pour fabriquer des briques » :
Un jour, alors que j’ai fait un écart pour éviter une flaque d’eau, j’ai pris un coup de cravache.
La plaie s’est infectée, les asticots se sont mis dedans. C’est sans doute cela qui a sauvé mon bras.
Aussi curieux que cela puisse paraître, je ne me suis jamais senti aussi triste.
Dans mon extrême misère, je trouvais le moyen d’admirer le ciel magnifique de cette région du nord de l’Allemagne, où de temps en temps passait un vol de cigognes ».
Rescapé de la tragédie du Cap-Arcona
Pierre Billaux a failli faire partie d’une des pires tragédies de la seconde guerre mondiale. Quinze jours avant que les alliés libèrent le camp, les SS décident de l’évacuer après avoir pris le soin d’effacer toutes les traces de leurs exactions.
Les 10 000 déportés encore en vie se dirigent, à pied, vers Lübeck, un port important sur la mer Baltique.
Les nazis ont échafaudé un plan diabolique. Enfermer 5 000 déportés dans les cales du paquebot allemand, le Cap-Arcona, et mettre un drapeau à croix gammée à l’arrière du navire. En pleine mer, le paquebot fut une cible idéale pour les chasseurs bombardiers. Il coula avec ses 5 000 martyrs emprisonnés dans les cales. Deux autres navires moins importants que le
Cap-Arcona connurent le même sort. Bilan de cette tragédie méconnue de l’Histoire : 7 500 morts.
Transféré sur un autre bateau qui n’a pas coulé, Pierre Billaux a miraculeusement échappé à ce crime de guerre.
Ceux qui étaient enfermés dans les navires ont été pris comme des rats. Je me demande encore comment je ne suis pas mort.
Après ma libération, il m’a fallu un an pour recouvrer la santé.
Ce qui m’a le plus marqué dans tout cela, c’est l’amitié et la camaraderie ».
Frédéric LETERREUX