
Frédéric Sanchez, président de la Métropole Rouen Normandie, a accordé un entretien à 76actu, sur la question des mobilités dans l’agglo de Rouen (Seine-Maritime). Deuxième volet avec la place des transports en commun dans la métropole. (©FM / 76actu)
La mobilité est une question cruciale des agglomérations du XXIe siècle. La ville de Rouen (Seine-Maritime) et sa métropole n’y échappent pas. Son président, Frédéric Sanchez (PS), en a fait un grand enjeu de son mandat. Nous l’avons interrogé à ce sujet le jeudi 12 décembre 2018 au siège de la Métropole Rouen Normandie. Cet entretien a été découpé en trois thématiques : voiture individuelle, transports en commun et mobilités du futur.
Voici donc le deuxième volet, consacré aux transports en commun. Le premier a été publié vendredi 21 décembre 2018 et le troisième le sera vendredi 28 décembre, sur 76actu.
Avec la T4, « on va reconfigurer le réseau »
76actu : Faisons un petit point sur les travaux de la T4 : sont-ils retardés par les bouchons ou les Gilets jaunes ?
Frédéric Sanchez : Je n’ai pas d’information en ce sens. Il y a eu des enjeux de fourniture de pavés pour Cœur de métropole. D’ailleurs, nous avons sécurisé nos stocks de pavés en centre-ville, exercice difficile réalisé en lien avec la préfecture. Mais sur T4, l’essentiel du gros oeuvre a déjà été fait, les espaces commencent à se voir clairement. On inaugure toujours le 25 mai 2019.
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Derrière la T4, ce que personne ne mesure, c’est qu’on va reconfigurer le réseau progressivement. Sur deux, trois années, avec cet enjeu de la gestion de rupture de charge, réussir à ce qu’un certain nombre de nos habitants utilisent un bus classique pour faire quelques stations et descendent pour prendre le Teor.
Justement, est-ce que cette ligne T4 est suffisamment interconnectée avec d’autres lignes, ou se suffira-t-elle en elle-même ? Son tracé avait fait débat.
Ce que je remarque chez certains critiques, c’est qu’ils n’osent pas dire qu’ils sont contre, donc ils disent préférer un autre tracé. Je fais le parallèle avec le contournement est : les communistes ont toujours été pour mais aujourd’hui disent préférer un autre tracé. Parce qu’ils savent bien que ce contournement est attendu de leurs habitants qui voient le bazar de camions sur le boulevard industriel. Sur la T4, je n’ai entendu personne proposer un autre itinéraire. Qui imagine sérieusement qu’on était mûr, dans l’agglomération, pour passer un bus à haut niveau de service rue de la République ? Il me semble que quelqu’un avait suggéré de transformer la F1 de façon plus massive rues d’Elbeuf, Lafayette et sur le pont Corneille, c’est à dire piétonniser tout. Les élus qui évoquent un autre tracé n’ont jamais eu le courage d’aller jusqu’au bout.
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Ce tracé va desservir des zones urbaines denses, va permettre un maillage réellement très efficace sur le nord-sud. Mais ça ne suffit pas, nous travaillons déjà à la génération suivante de lignes Teor ou Fast, avec deux sujets prioritaires. Il faut mieux accompagner la croissance démographique des communes des plateaux – Mesnil-Esnard, Bonsecours, jusqu’à Franqueville-Saint-Pierre. On a lancé le cycle de réflexion pour améliorer la desserte et avoir un quasi Teor sur ces zones qui se sont peuplées au fil des années. Et il y a la rive gauche, sur la desserte est-ouest, qui va avoir besoin d’être renforcée dans les années qui viennent sans attendre la gare.
T5 et nouveau tramway : « On va mettre en débat »
À ce sujet, il y a un projet de ligne T5 et d’une nouvelle desserte en tramway. Pour quand ?
Il faudra poser une décision dans le courant du prochain mandat, entre 2020 et 2026. L’objectif de la T5 est de mieux relier tout le quartier Saint-Sever, avant l’arrivée de la gare, via le pont Flaubert au pôle multimodal du Kindarena. Dans le cadre de la réflexion sur la gare, il y a aussi des hypothèses de complément en tramway. On a commencé à présenter cette perspective aux élus, elle sera mise en débat dans le courant de l’année 2019. Ce serait complémentaire à la T5. L’idée serait d’avoir, autour de l’hypercentre rive gauche-rive droite, un dispositif tramway plus Teor qui crée un effet de ring avec quelques transversales. Cela suppose une gestion efficace de la rupture de charge, donc un Mas qui progresse en parallèle. On va mettre en débat, concerter dans le courant de l’année, tranquillement, c’est du long terme. On va présenter notre vision de l’organisation des transports. Sans attendre la gare, mais en intégrant ce projet, c’est pourquoi j’ai besoin que le gouvernement me fixe un horizon pour ne pas avoir l’air de présenter des choses qui ne se concrétiseront que dans 20 ans, ce qui serait absurde.
Pour votre information, je viens d’écrire au député de Rouen, Damien Adam (LREM), rapporteur du projet de Loi d’orientation des mobilités, pour lui demander de porter un amendement au texte qui fixerait une date. Pour l’instant, il n’y a plus d’horizon temporel pour une nouvelle gare à Rouen. Je souhaite qu’il y en ait un, je veux que la gare de Rouen soit traitée dans le même mouvement que Paris-Mantes. Je ne me fais pas d’illusion sur la capacité à obtenir des financements en même temps mais il faut absolument que la Normandie obtienne un horizon de concrétisation de cette gare qui est un enjeu décisif. Rouen est le hub ferroviaire majeur de la Normandie dans le fonctionnement des trains du quotidien et les conditions dans lesquelles fonctionne l’actuelle gare sont tellement insuffisantes qu’on ne pourra pas progresser et faire du train un meilleur outil du quotidien. D’où Saint-Sever.
Ce lieu a été choisi après plusieurs années d’études, de concertation et présente un certain nombre d’avantages, proche du coeur de ville. On ne voulait pas d’une gare éloignée des zones d’habitat. Il présente l’avantage d’utiliser des infrastructures ferroviaires déjà existantes et d’être pas très loin du transport en commun et des réseaux routiers. Peut-être qu’il présente des désavantages, il n’y a pas de solution idéale. L’un d’eux, qui est l’un des problèmes majeurs, c’est la traversée de la Seine pour relier Le Havre.
« Le sujet, c’est rendre le service plus efficace »
Les périphéries aussi, doivent être mieux intégrées. Certaines zones citadines comme Oissel sont éloignées du centre de la Métropole. Comment intégrez-vous l’étalement urbain à votre réflexion ?
C’est une réflexion complexe. Beaucoup d’usagers des transports en commun n’ont pas comme destination le centre de Rouen, par exemple à Oissel. D’après nos études, beaucoup des usagers de la F3 s’arrêtent en chemin ou préfèrent arriver à Sotteville et prendre le tramway. Le sujet n’est pas d’avoir une ligne express pour quelques personnes qui dans la journée vont vers le centre de Rouen. Le sujet c’est d’avoir un service qu’on peut maîtriser en termes financiers pour nos usagers, le plus efficace possible, en prenant en considération des usages divers. Souvent, les maires des communes urbaines en bout de ligne – la vallée du Cailly, Le Houlme, Grand-Couronne, Oissel…- disent qu’il faut X dizaines de minutes pour regagner le centre. C’est vrai, mais beaucoup d’usagers s’arrêtent en chemin. Ça rend le sujet très compliqué car créer des lignes express, qui ne s’arrêtent pas en chemin, coûte extrêmement cher pour peu de monde.
C’est un sujet délicat mais je souhaite qu’on prenne des décisions dès le début du prochain mandat. Je souhaite que ce soit un sujet majeur de la construction du projet métropolitain dans les années à venir, que le projet soit ambitieux en matière de transport en commun. Il va falloir que des budgets soient réorientés et que des économies soient faites dans d’autres secteurs. La demande est puissante, c’est ce qu’un sondage que nous avons fait révèle. C’est ce que n’ont pas compris nos opposants politiques hostiles à la T4 : que les habitants veulent davantage de transports en commun.
Le sujet, c’est de rendre beaucoup plus efficace le service, un exercice qui repose sur la qualité de la prestation. Il faut accepter les ruptures de charge, acceptables si efficaces : vous sortez du bus et montez dans le tram. C’est l’enjeu du cadencement. J’en suis convaincu, c’est ça l’avenir pour ces villes : rendre plus efficace le moment où on amène l’usager sur un transport en commun plus lourd avec des voies réservées comme le tramway ou le Teor, où la promesse de gain de temps est vraiment réelle. C’est ça qui est complexe à gérer, parce que souvent des personnes restent dans le bus car elles ne savent pas combien de temps elles vont attendre l’autre transport. C’est un sujet difficile : ça suppose d’améliorer en temps réel l’information du voyage, toute l’affaire du Mas, Mobility as a service comme on dit à Toronto. Aujourd’hui, vous avez tout un tas d’applications qui donnent des calculs d’itinéraire mais reposent sur des données théoriques. Le Réseau astuce, aujourd’hui, vous donne un calcul théorique. L’information voyageur en station est un enjeu énorme, qu’il faut basculer sur des applications où en temps réel vous saurez qu’en descendant à tel arrêt, vous récupérerez en une minute trente le tramway et que vous serez à destination en tant de minutes. Cela va demander des millions d’euros d’investissement car il faut corréler en temps réel des millions de données.
Vous avez un horizon pour atteindre cet objectif ?
Oui, c’est au coeur du dossier Tiga (Territoire d’innovation et de grande ambition) qui est un sujet très important pour la Métropole. On veut être la métropole française de référence sur l’invention des mobilités du futur et donc le Mas est un sujet majeur : calcul d’itinéraire, paiement en ligne quelque soit le trajet et le mode – tramway, train, vélo en libre service, taxi, autopartage… Je regarde de très près ce qu’il se passe à Toulouse, où Transdev commence à tester ce genre de choses. C’est beaucoup d’argent mais c’est la promesse dans quelques années de se déplacer sans y penser. Ce sera tout simple, on saura combien ça coûte, on pourra faire son choix et on aura l’information en temps réel. C’est cette révolution-là dans laquelle on a envie d’impliquer la Métropole rouennaise.
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« Aujourd’hui, tous nos habitants ont une solution de transports en commun à leur disposition », martèle Frédéric Sanchez, qui appelle à « encore progresser ». (©FM / 76actu)
« La Métropole doit offrir une solution de transport partout »
Au-delà des villes, la Métropole s’étend sur plusieurs communes rurales. Comment faire pour qu’elles soient vraiment connectées à Rouen ?
Nous le faisons en faisant des choses que la Métropole est une des seules à faire en France. Quand on crée Filo’r pour les zones rurales, on met en place une solution de transports en commun pour près de 50 000 habitants de la Métropole rouennaise qui vivent dans ses villes et villages. Aujourd’hui, tous nos habitants ont une solution de transports en commun à leur disposition, tous. C’est plus ou moins efficace, mais on a déjà la solution.
C’est un sujet très important, parce que je suis pour une Métropole inclusive et solidaire, et le service public est évidemment un élément fort de la promesse d’égalité que porte la République. Donc l’égalité d’accès aux services est un vrai sujet. On voit bien que le gouvernement a été vivement interpellé par les Français à ce sujet-là, par tous les Français qui se sont sentis oubliés. La Métropole est la collectivité de l’hyper proximité : elle apporte l’eau au robinet de tout le monde, partout. Elle collecte les poubelles tous les jours, partout. Et elle doit offrir une solution de transport en commun partout. Il faudra progresser. Le dispositif Filo’r, quand on l’a créé, était assez contraignant : il fallait s’abonner, réserver 24h à l’avance et il y avait toujours une incertitude sur l’horaire. On a beaucoup progressé en six ans : le dispositif est beaucoup plus fluide, avec une garantie de service plus importante et le niveau de satisfaction de nos usagers a beaucoup augmenté. C’est plus utile, plus efficace et plus utilisé que les lignes régulières qui sillonnaient les campagnes et dans lesquelles il n’y avait jamais personne parce que le bus circulait toutes les heures. C’est la première réponse. Ça ne couvre pas tous les problèmes liés à l’étalement urbain, qui va plus loin que la Métropole, mais on en a déjà parlé avec le covoiturage, les parking-relais.
S’agissant du périmètre de la Métropole, c’est un élément de réponse. Filo’r a un grand succès chez les jeunes et ça commence à l’être chez les personnes âgées qui ont des enjeux de mobilité particuliers. On veut renforcer Filo’r, on a prévu d’augmenter le budget dans le cadre du nouveau contrat en discussion et qui permettra, j’espère, de renforcer encore l’usage du transport en commun en zone rurale. Les horaires portées jusqu’à minuit, c’est dans les prochaines semaines et les renforcements c’est dès maintenant, sans attendre le prochain mandat.
Avec la gratuité, « on a perdu sur tous les tableaux »
Est-ce que vous augmentez le budget pour augmenter le nombre de liaisons ou pour combler le manque à gagner de cette ligne ?
Exploiter Filo’r, c’est un vrai choix de solidarité. Ça coûte dix fois plus cher qu’exploiter le tramway, il faut avoir les échelles en tête. C’est clairement une décision de solidarité qui est au coeur de la politique de transports en commun quand on fait le choix de desservir les zones rurales à partir du passage en Crea en 2010. Et le service va être encore renforcé. C’est le contribuable qui est sollicité, c’est ça la politique de solidarité. L’usager paie le prix du Réseau astuce, pas du tout un prix corrélé au coût du service.
Un mot sur la politique tarifaire : continuera-t-elle à augmenter ? Le 1er septembre, le prix au ticket est passé de 1,60 à 1,70 euros.
J’ai une règle de conduite depuis que je suis président : on considère que c’est bien d’avoir un financement deux tiers par le contribuable, un tiers par l’usager. C’est un équilibre qui est satisfaisant. La Cour des comptes incite les collectivités à faire davantage contribuer les usagers, nous ne sommes pas pour. Nous pensons que c’est un service public et qu’il faut avoir une approche par intervention de la subvention publique. Il faut des gratuités, 10 % de nos voyages le sont. C’est un effort de solidarité envers ceux pour qui prendre les transports en commun pourrait être coûteux.
Quid de la gratuité, est-ce une fausse bonne idée ?
C’est même une très mauvaise idée ! Nous avons besoin de ressources pour développer le transport en commun, c’est ce qu’on me demande. Dans l’agglomération rouennaise, le tiers payé par l’usager c’est 25 millions d’euros. Si on supprimait 25 millions d’euros, on aurait un problème insoluble pour financer l’existant. Et il faudra m’expliquer comment on ferait pour développer le réseau. Ces 25 millions d’euros, on en a besoin. Ensuite, partout où la gratuité est mise en oeuvre, il y a un report de la marche et du vélo vers le transport en commun. Et ça, c’est très mauvais. Le développement d’une politique de transport en commun, c’est pour essayer d’attirer des automobilistes. Mais le piéton qui, par effet d’aubaine, monte dans un bus qui passe parce qu’il est gratuit au lieu de faire ses 500 mètres à pied, il va venir saturer. Il y a donc congestion du transport en commun et congestion automobile en même temps.
Donc on a perdu sur tous les tableaux : on n’a pas enlevé de voitures, on n’a plus d’argent pour développer et on a des bus qui deviennent terriblement inconfortables. Je rappelle toujours qu’aujourd’hui le transport n’est pas cher, notamment grâce à la participation des entreprises qui réduit massivement le coût. Et si elles sont impliquées dans un plan de déplacement avec la Métropole, on apporte encore une réduction des tarifs. Donc le prix n’est pas un frein aujourd’hui, il faut le maintenir pour les gratuités de ceux en vraie difficulté sociale. Ceux qui n’ont pas de difficultés peuvent payer. Les élus qui, par idéologie, parlent de gratuité en conseil de la Métropole, sont ceux qui en privé demandent de consacrer de l’argent au développement du réseau.
Propos recueillis par Simon Louvet et Fabien Massin
Le premier volet sur l’usage de la voiture individuelle a été publié vendredi 21 décembre 2018 et le troisième sur les mobilités du futur le sera vendredi 28 décembre, sur 76actu.