
Depuis le 17 novembre 2018, les Gilets jaunes ont pris position sur le rond-point des Vaches, à Saint-Étienne-du-Rouvray (Seine-Maritime). Un mois après, ils y sont toujours et veulent « encore réussir à gagner des choses ». (©SL / 76actu)
La scène est devenue habituelle dans le paysage du sud de la métropole de Rouen : des files de camions à l’arrêt, trois barrières qui donnent sur le rond-point des Vaches, à Saint-Étienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), et une fumée noirâtre surplombe les Gilets jaunes installés là depuis le samedi 17 novembre 2018.
Un mois après, le noyau dur est resté. Ils sont une soixantaine, lundi 17 décembre en milieu d’après-midi. Ils croient toujours « à la victoire », et n’en reviennent pas, d’avoir « fait ce truc de dingue » : fait plier un gouvernement.
« Ça nous a fait grandir, on connaît mieux nos voisins »
« Un mois, déjà ? » La question est posée par un membre du groupe qui filtre les arrivées depuis l’A13. Ici, on a cessé de compter en jours. L’unité de temps, c’est le nombre de « cabanes jaunes » construites sur le terre-plein central. « La troisième », appuie Jacques*. Sur le filtrage côté Oissel, Greg s’est spécialisé dans la cabane : celle qui tient debout lundi, c’est « sa septième ». Les autres ont été détruites pour des feux, ou par les forces de l’ordre.
#GiletsJaunes près de #Rouen : le nettoyage du rond-point et la reconstruction de la « cabane » ont commencé, tout le monde met la main à la pâte. pic.twitter.com/W5MLNbgpH7
— simon louvet (@LouvetSimon) 29 novembre 2018
Il n’y a pas trop de doute, autour du rond-point : « Il faudra en construire une quatrième, de cabane jaune. » Cette perspective énoncée lundi 17 décembre fait sourire, mardi 18 décembre : une opération de police a été menée dans la matinée pour évacuer le rond-point. Partis manger un morceau avec les salariés de la papeterie Europac, bloquée avec des Gilets jaunes depuis lundi matin, les « sédentaires des Vaches » y sont revenus.
« Ici, on est entre copains », assure Christophe en souriant. Dans ce que retient ce routier de 39 ans, les liens tissés depuis le 17 novembre sont en bonne position : « On a appris à se connaître. » En attisant un feu, Greg acquiesce : « Ça nous a fait grandir. Déjà, on connaît mieux nos voisins. » Ce qui ravit Christophe : « On s’est rendus compte qu’on a tous les mêmes convictions, au final… »

Christophe, casque de viking sur la tête, est sur le rond-point des Vaches depuis le 17 novembre. Il vient en dehors de ses heures de boulot : « On se relaie, tous les jours. » (©SL / 76actu)
Femmes et retraités sont très représentés
Ni les âges, ni les métiers ne réunissaient les Gilets jaunes de la première heure tant ils sont apparus hétéroclite et populaire. Patrice* donne, dit-il, « le meilleur résumé du mouvement » : « Ceux qui râlaient devant la télé ont décidé de se sortir. » C’est le sentiment « qu’il se passait quelque chose » et la possibilité de « ne pas y aller seul », qui en a motivé beaucoup à se diriger vers le rond-point d’à côté, à y rester et à s’y relayer sur les jours de repos.
Les femmes sont très représentées : « Les petits contrats, c’est nous », disait Gaëlle à 76actu mardi 27 novembre. Comme Colette, 58 ans, qui racontait dès le premier jour son invalidité à cause de problèmes de dos mais qui « porte toujours des gens », car aide à domicile pour vivre. Au fil des jours, la moyenne d’âge a grimpé. Déjà le premier jour, les retraités étaient nombreux. Un mois après, ils sont majoritaires.
Raymonde, 80 ans passés, vient tous les jours, son gilet jaune coincé dans son sac. « Le phénomène », s’esclaffent les Gilets jaunes. « Ils me voient, tout le monde me salue. C’est dingue. Ils ont fait un truc de dingue », hallucine-t-elle à chaque fois qu’elle vient. Son soutien moral fait dire à Jean-Claude que le rond-point « est une famille ».
« Pourquoi » tout le monde n’a pas rejoint le rond-point ?
Cette diversité et l’opinion publique ultra-favorable a fait dire aux Gilets jaunes qu’ils étaient « le peuple ». Mais tout le monde n’a pas rejoint le rond-point, malgré les mots d’ordre rassembleurs contre « l’impôt injuste ». Christophe « se demande toujours pourquoi ». Plusieurs facteurs sont évoqués, aux coins des feux.
« La peur d’avoir des ennuis », celle « de faire ça pour rien », la « propagande du gouvernement qui annonçait des morts » ou « les soucis de la nuit ». À l’inverse des journées bien gérées, elles ont été agitées, l’affaire d’une minorité virulente. À l’image du Gilet jaune capable, lundi après-midi sur le blocage d’Europac où il « aidait », de nous jeter un gobelet de café au visage en nous insultant de « collabo » pour un article pas à son goût.
La majorité n’a pas pu tout enrayer : « Quand il y a eu des soucis, j’en étais dégoûté. Pour nous, le principal c’est de se faire entendre et de rester visible », selon Christophe. La « révolution » taguée sur la cabane n’a pas encore eu lieu, raison pour laquelle quelques-uns se sont contentés des évolutions annoncées, « pas encore suffisantes » pour ceux qui n’ont pas regagné leurs maisons, grisés par l’idée « d’avoir fait plier des puissants ».

La « cabane jaune » a été recouverte de tags rouges, dont le mot « Révolution ». (©SL / 76actu)
Que les citoyens aient « de nouveau envie de voter »
C’est pour ça qu’avec Greg, ils martèlent ce qu’ils réclament. Le référendum d’initiative citoyenne (RIC), inscrit sur un gilet jaune et déjà sur quelques lèvres mi-novembre, s’est imposé comme la première revendication. « Macron nous a enfumés avec sa société civile, on a cru que ce serait des gens comme nous. Mais non, c’est une minorité de la population. » Greg veut que les citoyens aient « de nouveau envie de voter » mais puissent « avoir leur mot à dire ».
Personne n’a le même avis, politiquement. « Ils sont tous à la ramasse », pour Patrice, qui n’a plus voté pour une élection nationale depuis 2007. Autour du rond-point, le mot « politique » donne des boutons. Mais, à leur manière, les Gilets jaunes en font, de la politique. Seulement, comme Maxime, ils ne veulent plus « voter pour un gars, se faire avoir et attendre que ça se passe pour voter pour un autre gars ». Là, il salue du bout des lèvres les concessions d’Emmanuel Macron. Tout en regrettant que ça « ne soit pas sincère, car on l’a forcé ».

Le RIC, référendum d’initiative citoyenne, est une des principales mesures réclamées par les Gilets jaunes. (©SL / 76actu)
« Ce qui m’embête, c’est de ne plus croire au père Noël »
En plus du RIC, le « top 5 pour une vie meilleure » de Maxime comprend : des retraites indexées sur l’inflation, la fin de la CSG pour les retraites à moins de 1 500 euros avec des minimas revus, l’impôt remis à plat pour les grosses fortunes et, « cerise sur le gâteau », une vraie revalorisation des salaires pour un Smic à 1 500 euros net.
Maxime, 24 ans, sourit : « C’est parce que Noël approche, je fais ma liste. » Il espère que ces cadeaux seront posés au pied du sapin planté au milieu du rond-point à côté de la cabane jaune. Maxime, intérimaire, fait la moue : « Ce qui m’embête, c’est de ne plus croire au père Noël. » Personne n’est très optimiste, mais tout le monde y croit.
Il y a deux sons de cloche. Ceux comme Jean-Claude pensent « que le mouvement pourrait se mettre en pause et reprendre, avoir une force de pression ». Ceux comme Christophe sont prêts « à passer Noël et le jour de l’an là ».
Et donc à reconstruire la cabane jaune.

À chaque fois démolie, la cabane construite sur le rond-point a toujours été reconstruite par les Gilets jaunes. Et taguée pour servir de pancarte. (©SL / 76actu)
* Certains prénoms ont été modifiés.